McDonald. Sanctuaire de la mal bouffe. Paradis de nos palais peu développés. El Dorado de nos santés malmenées. Havre de paix pour ceux qui ne savent pas cuisiner.
N’êtes-vous donc jamais rentré dans l’un de ces bastions de la liberté  #USA  sans jamais sentir l’envie de fredonner l’hymne américain en remerciant l’Oncle Sam de ce service rendu à notre planète ? N’avez-vous donc jamais ressenti le besoin de plonger sur ces banquettes poisseuses de sauce et d’huile de friture pour votre sieste beauté ? De poser votre tête confortablement sur ces tables où des millions de doigts gras se sont posés ? Jamais dans votre vie ne vous êtes-vous surpris à apprécier l’accueil chaleureusement hostile des esclaves vous servant votre menu XL sans cornichon sans oignon sous le stress et la pression d’un tortionnaire connu sous le nom de manager ? Ô toi malheureux, es-tu sûr de n’avoir jamais ouvert la boîte de ton super BigMac™ pour découvrir avec un enthousiasme non dissimulé la semelle de chaussure que tu t’apprêtes à ingérer, bien différente de la publicité #CetteSalope qui t’a fait saliver pendant des heures comme un bulldog en rut ? En franchissant les portes, posant un premier pied conquérant sur le sol collant, toi jeune étudiant dont la pauvreté n’a d’égale que la bêtise, n’as-tu jamais eu le sentiment d’entendre, au loin, la voix du chanteur des Eagles #HotelCalifornia tandis que ta raison te supplie à genoux de revenir sur tes  pas. Trop tard, le mal est fait, te voilà avec 1010 kcal de plus sur le cul (parce que t’as été raisonnable, t’as pris que le menu classique). Bon courage avec tes vingt kilomètres de course à pieds pour éliminer tout ça #FatAss
Non non, on l’a refait. Bienvenue à McDonald, là où toi comme moi on va parce qu’on est des grosses feignasses qui ont pas envie de se faire à manger, comme deux milliards de cons chaque jour. Eh ouais, rien que ça.
En ce beau mois de février, Hiro Je-fais-attention-à-mon-poids Takagi fait aujourd’hui parti de nos deux milliards de pigeons. Cause ; lendemain de soirée de niveau 6 sur l’échelle Bradley Cooper (équivalent d’absence de souvenir, envie de vomir fortement présente, mal de crâne insupportable, loin du tigre dans la salle de bain et du meilleur ami abandonné sur le toit d’un hôtel). Conséquences ; symptômes amplifiées, culpabilité grandissante vis-à-vis de sa silhouette d’athlète durement obtenue à la sueur de son front #LoveYourBody. Je sens pas bien le love dans un cheesburger, personnellement.
« Ce sera tout ? » La serveuse s'enquiert avec l’amabilité  d’une porte de prison et qui serions-nous pour lui en vouloir ? Qui pourrait ne pas comprendre son calvaire quotidien ? Takagi Hiro avec une faim vorace et l’impression qu’une enclume lui aplatit la boîte crânienne. Il tend la monnaie, prend son plateau, tourne les talons et prie pour qu’une table coupée du monde soit libre. Chance, il trouve une banquette à côté d’un couple de personnes âgées et jamais de sa vie entière il n’aurait imaginé voir quelqu’un dégustait un P’tit Wrap™ avec autant de dédain et de lenteur. Il niche sa tête entre ses mains ouvertes, essayant de faire taire l’équivalent sonore de Ronald McDonald Insanity qui lui vrille les tympans. Se masser les tempes n’y change rien et fermer les yeux lui apporte, au lieu de l’agréable obscurité escomptée, une myriade de couleurs éblouissantes à vous en brûler la rétine. Quelle fabuleuse façon de commencer la journée.

Ce n’est pas la solitude qu’Hiro cherchait en venant ici, on ne cherche pas à être tranquille dans un McDo’ en plein milieu de la semaine. Ou alors on est con, juste un peu. Non parce qu’un fastfood, à cette heure-ci, c’est l’affluence : les moutards qui chialent et braillent parce qu’ils ont pas eu le jouet qu’ils voulaient dans leur Happy Meal, les parents exaspérés par une telle attitude, mais aussi par la note parce que ce putain de fastfood, c’est cher sans que ça paraisse. On a aussi les étudiants, du caractéristique petit nerd qui fait sa pause WoW ou LoL #ChooseYourTeamBuddy, en passant par les copines fofolles trop #MDR #XPTDR #Soin qu’on entend rire comme un troupeau de hyènes jusqu’au bac à boules. Ce même bac à boules où seuls les gamins vont parce que les adultes sont pas cons, les adultes savent que c’est pas net le coulis jaune sur les tapis. Mais soyons honnêtes, soyons Charlie, il y a aussi les pauvres gars, comme Hiro, qui veulent juste manger un morceau et partir, ceux-là ils font pas un bruit, ils disent pas un mot, ils subissent les minorités bruyantes et ils payent bonbon sur la note parce qu’ils ont paumé leur carte étudiant qui leur donnait le droit à un donut moitié prix. Hmmm, donut.
Il ne l’entend pas d’abord, parce qu’il est concentré à calmer les grésillements qui lui vrillent les tympans, commencer son repas –éventuellement-. Il ne remarque la jeune femme, Nami, toujours au rendez-vous lorsqu’il s’agit de se faire un régime façon grosse bouffe, que lorsqu’elle se trouve face à lui, avec son plateau et le sourire le plus soulagé qu’il a jamais vu. « Je peux m'asseoir ? Je voudrais pas te déranger… » Evidemment, Hiro c’est une bonne poire, alors il dit « Oui, vas-y, tu peux t’installer. » Mais intérieurement –et même s’il l’aime beaucoup- il fait la prière vers la Mecque et le Vatican –en même temps- pour qu’elle l’épargne de longues et interminables conversations. Surement parce qu’il sent que son lobe frontal va exploser s’il entend encore la gamine, deux tables plus rien, entrain de brailler parce qu’elle voulait une glace et pas un yaourt à boire. Mais il est fairplay, complaisant, parce qu’il ne veut pas que sa camarade supporte sa mauvaise humeur alors qu’elle se plie toujours en quatre pour l’aider avec ses chorées –dans le sens littéral, comme figuré-. « Tu sors du travail ? » De la conversation de comptoir, sans stress, tranquille, et que quelqu’un mette une paire de claques à cette sale gosse avant qu’elle ne crache une nouvelle fois sur le sol en signe de protestation.

Décidemment, ce Big Mac™ ne pouvait pas pu mieux tomber. Ce n’est certainement pas le menu du siècle, certes ; ce condensé de gras ne se démarquant ni par ses qualités gastronomiques ni par de quelconques vertus pour la santé de son consommateur. Mais un bout de pain, deux tranches de fromage et un steak haché – que nous nommerons plutôt semelle en raison de sa plus proche ressemblance avec le dessous d’une chaussure qu’avec de la viande, de la vraie -, ça a au moins le mérite de remplir un estomac malmené par l’alcool et le petit gazon, chassant la fringale pour un plaisant, très plaisant sentiment de satiété.
Les frites, elles, se présentent alors comme le plus fin des encas et jamais une pomme de terre coupée en tranche et plongée dans l’huile n’avait été si pleinement appréciée. On croirait à un met de dieux ; Dionysos aurait probablement lâché sa grappe de raisins pour en taxer une ou deux. Mais puisqu’il n’est pas là, Hiro peut en apprécier pleinement le contenu pour lui-même, et le premier à applaudir cette initiative serait son palais, ses papilles se délectant assurément de rencontrer pour la première fois depuis quelques longues heures à l’agonie un repas jugé digne de ce nom au lieu de l’équivalent de détergeant que certains appellent « rhum », premier prix au Carrouf’ du coin.
Même dans ce profond moment de satisfaction personnel, Hiro n’oublie pourtant pas qu’il n’est pas seul. Ou du moins, la migraine qui le martèle, seul ombre sur ce tableau, lui rappelle inlassablement qu’un orgasme en publique, ça ne se fait pas. Désolé mon lapin, il faudra faire avec, même si ton menu XL te donne une bien meilleure impression que la dernière fois que tu as fini dans le lit de quelqu’un. Il parait que ça s’appelle le savoir vivre.
Et en parlant de ce sacré filou, Hiro ne l’oublie pas non plus. Du moins il essaye le pauvre chouchou, mais c’est dur, titanesque que de cesser de se bâfrer cinq minutes pour faire vibrer une paire de cordes vocales en un ensemble de mots cohérents. On ne croirait pas comme ça, mais Hiro s’imagine probablement plus apte à construire une cabane en plein désert qu’à tenir une vraie conversation, constructive et plaisante, avec sa camarade qui lui semble pourtant plus motivée.
« Oui, je viens de sortir du travail, je suis venue ici à cause de flemme pour me préparer quelque chose à manger. Et toi ? Je veux dire tu sors d'un entraînement ou autre ? » L’espace d’un instant, Hiro voit son soi-disant entraînement défilé sous ses yeux ; un beer-pong qui impliquait tout sauf de la bière, une bande de groupies qui avait essayé toute la soirée de le persuader qu’il n’était pas si gay que ça – j’insiste sur le essayer- et finalement deux policiers emballés dans du lycra, beaucoup trop moulant pour que notre jeune ami ne sente pas l’embrouille et décide de fuir.
Autrement dit, il pose son hamburger, son visage blêmissant à vue d’œil et un seul souvenir ; celui de la paire de seins qu’on l’avait contraint à regarder pendant près de deux heures, suffit à le faire se lever brusquement, main sur la bouche, courant à toutes jambes en direction des WC les plus proches.
Retrouver son Bic Mac™ au fond de la cuvette ne lui redonne pas plus d’appétit que ça, même si le goût en reste inchangé, aussi bien quand il est rentré que quand il est ressorti.